Perrault et l'alchimie
***

Les contes sont symboliques, une première lecture simple et lisible dissimule souvent un message. Cette page vous invite à jeter un regard différent sur les contes de fées du XVIIe siècle, différent aussi du regard de Disney.
Parlons un peu d'alchimie, cette science de la transmutation des métaux et de la recherche d'une médecine universelle est devenue au XVIIé siècle une quête spirituelle, la recherche de la perfection.
Les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz, la Fama fraternatis et la Confessio fraternatis, manifestes rosicruciens apparaissent en 1616 et marqueront le XVIIe siècle et le suivant. L'alchimie est alors devenue une philosophie hermétique plus qu'une science de la matière. Charles Perrault n'était sans doute pas alchimiste comme on l'entendait au XVè et XVIè siècle mais cet homme de lettres, curieux de tout, s'est intéressé de près à cet art comme il nous le montre dans de petites allusions à peine voilées. Il n'était certainement pas dans son intention de faire un cours sur la transmutation des métaux ou la Pierre Philosophale, mais simplement de nous rappeler que Matière et Esprit sont complémentaires et indissociables ou comme disait Rabelais par la bouche de Gargantua: "
Science sans conscience n'est que ruine de l'âme."

***
Le maître chat ou le chat botté (texte)


Cet animal est souvent associé à la magie, au lien entre deux mondes. On lui prête une vie intérieure réfléchie, sans doute par son regard, lourd de silence.
Ce conte est un peu ambigu en première lecture: sans déroulement logique, amoral et pervers. Le message est encore caché.
D'un ancien conte italien du début du XVIe s. écrit par Giovanni Francesco Straparola, dont il ne reste pas grand chose d'origine, Perrault a une fois de plus essayé de stimuler l'espoir d'une vie meilleure à qui s'en donne la peine.
« Un meunier, laisse à chacun de ses trois fils un héritage: à l'aîné un moulin, au second un âne et pour le plus jeune un chat ». Trois images symboliques: un capital construit (moulin) pour l'aîné, un outil (âne) au second fils, enfin au cadet, l'héritage peut-être le plus important que tout père laisse à son fils, un héritage culturel, intellectuel, symbolisé par le chat. C'est l'héritage spirituel du père que ce fils doit activer, grâce aux bottes. Le parcours du jeune homme est fait de travail, (la chasse), de don de soi. Il chasse et offre le produit de sa chasse au Roi. On retrouve la notion de sacrifice, d'abstinence et de don de soi propre à toute recherche d'élévation personnelle . de patience mais aussi d'autorité (avec les paysans).
Ce parcours ressemble étrangement à un parcours initiatique (nous sommes au siècle des sociétés secrètes) avec le bain, mourir pour renaître.
« ...baignez vous dans la rivière... ». ne serait-ce pas une purification ? La renaissance, les nouveaux habits, et surtout le combat avec les forces du Mal (l'ogre) dans le microcosme (la souris) et le macrocosme (le lion). Combat, mais aussi connaissance et science, l'alchimie n'est pas loin.
« Il s'empare du château de l'Ogre ... » et épouse la fille du Roi qui lui ouvre les portes du Pouvoir et du lignage. De ces expériences il sortira vainqueur et gagnera la confiance du roi et sa fille. Le travail et la maîtrise de soi sont les éléments indispensables à la réussite personnelle de chaque individu. Le titre en est bien le "Maître chat".

Le petit Poucet (texte)


Le XVIIe siècle était une époque très dure, c'était le point culminant d'une mini période glaciaire et il n'était pas rare que quatre ou cinq années se suivent avec le froid, la famine et pour ne rien arranger bien souvent la guerre.
Les faits dont nous parle ce conte ont dû se produire parfois, des enfants étaient abandonnés, perdus dans la forêt ou plus vraisemblablement au porche d'une église.

Il est curieux de constater que Charles Perrault était le cadet d'une famille de 7 enfants (6 garçons et une fille), mais on ne sait pas s'il s'est senti investi d'une responsabilité vis-a-vis de ses frères.
Ce conte est également l'image d'un parcours initiatique.
L'initiation a toujours le même but, passer d'un état à un autre, plus fort, plus grand. Le passage de l'enfance à l'âge adulte, le passage de l'ignorance à la connaissance, du sommeil au réveil de l'ombre à la lumière au travers d'épreuves.
La forêt est l'antichambre la réalisation de cet voyage initiatique, elle est la solitude et le danger. La séparation des parents est la première étape, difficile à passer et Poucet doit revenir une fois encore au foyer. 
La nature l'aide à accomplir cette épreuve de séparation, la nature, force invisible, c'est les oiseaux qui mangent les morceaux de pain. 
Poucet est le premier à voir la lumière et prend dès le début l'initiative de sauver ses frères, son peuple,  mais avant tout une partie de lui-même, ce qui le relie au passé à son enfance. Accueillis par la Mère, la femme de l'ogre, déesse protectrice, ils sont alors dans la maison de l'ogre, le creuset de l'expérience alchimique où le Bien et le Mal cohabitent, L'ogre est le dieu à la force aveugle qui ne saura pas reconnaître ses filles, il est le chasseur aux grands pouvoirs, assoiffé de sang, c'est l'armée royale qui enrôle, enferme ses enfants et les tue aveuglement. C'est aussi l'assujettissement des petits féodaux dans le massacre de ses sept filles couronnées.
Poucet et ses frères sont le principe masculin et le féminin est représenté par les filles de l'ogre en miroir. Elles sont riches, eux pauvres, tout est rassemblé pour que la transmutation s'accomplisse. Pour cela il doit réaliser un exploit et voler les bottes de sept lieues. On peut rapprocher cet acte de l'histoire de Promethée qui vola le feu de l'Olympe pour le donner aux hommes. Les bottes de sept lieues représentent le pouvoir car c'est la maitrise de l'espace, donc du temps et de la connaissance. À l'époque de Perrault, sept lieues étaient la distance entre deux relais de diligence et Louis XIV se servait de ce réseau pour communiquer avec ses armées. Plus tard on verra le Petit Poucet dans le rôle du messager du roi, mais en réalité il prend le rôle d'Hermès, le messager des dieux. L'initiation accomplie, le Petit Poucet retrouve son monde qui n'a pas changé, mais lui est un autre, un homme responsable.

Riquet à la houppe (texte)


Riquet à la houppe est sans doute le conte le plus clair quant à sa moralité. Quand on regarde avec les yeux de l'amour, tout semble beau et spirituel. De même que, quand on se sent aimé, on resplendit et l'entourage change à son encontre. Bien que la beauté soit appréciable, on s'en lasse, elle passe et l'on se tourne vers l'esprit. C'est ce qui arrive aux deux soeurs dans la première partie du conte. Riquet entretien l'amour de la princesse pendant un an en préparant les noces et le lui ayant déclaré, il attend en retour le même cadeau: la beauté. C'est ce qui arrive car le véritable amour qui efface toutes les difformités du corps et de l'esprit, est un amour partagé. La scène de la préparation du banquet est cependant étrange, souterraine elle évoque les "Noces alchimiques". La "coïnditentia oppositorum" vieille formule latine qui symbolise la génération de deux éléments opposés, le féminin et le masculin, l'eau et le feu, le conscient et l'inconscient, la beauté et la laideur. De cette opposition naît une énergie nouvelle. Comme le Chat botté, ce conte nous ramène à l'Hermétisme et à la recherche des mécanismes secrets de la nature.

Cendrillon ou la pantoufle de verre (texte)

Tout d'abord, il faut rétablir la verité au sujet d'une idée reçue à propos de la pantoufle. Dans le texte original de Perrault, la pantoufle est bien de verre et non de vair. Balzac est à l'origine de cette confusion. Clerc de Notaire rationaliste du XIXe siècle, il a laissé supposer que Perrault aurait fait une faute d'orthographe dans le mot alors qu'il citait la fourrure d'un écureuil, le "vair". Cette théorie ne tient pas, bien sûr, car s'il avait voulu parler de fourrure, lui, le fondateur de l'Académie des Belles-Lettres, n'aurait pas fait cette erreur. Le XVIIe siècle était le siècle des symboles et de la pensée et une pantoufle de verre était l'image de la fragilité et de la légèreté du pied de Cendrillon, elle-même image de la pureté de l'âme de la jeune fille. Charles Perrault a reécrit ce conte populaire et présent dans de nombreuses civilisations, ce mythe de l'esclave qui devient reine. La fin est heureuse, la fin de l'adolescence d'une jeune fille rejetée par ses demi-soeurs et sa belle-mère, et contrainte de faire les basses besognes de la maison. Comme dans la plupart des contes de Perrault, le but est de redonner aux pauvres gens l'espoir d'une vie nouvelle grâce à la chance, la fée, ou bien peut-être à la foi qui stimule la volonté de réussir. Une jeune fille, cet être se transformant après une longue attente dans le foyer (les cendres, le feu, le creuset) nous rappelle encore le travail alchimique.

La Barbe bleue (texte)

Perrault se serait sans doute inspiré des mariages d'Henri VIII d'Angleterre au XVIè siècle. Il eut 6 femmes qu'il perdit, certaines moururent, d'autres divorcèrent et deux furent décapitées. Mais la ressemblance s'arrète là, ce roi n'avait pas la barbe bleue et pas autant de cadavres dans le placard. Le mystère reste entier pour la barbe. Mais qu'a voulu dire Perrault?. Le personnage, bien qu'il fît peur, n'était pas foncièrement antipatihque, puisqu'il avait des relations avec ses voisins. Les choses se gâtèrent quand il voulut se marier. On peut penser que le problème serait l'adultère de la femme, symbolisé par la clef maculée de sang au retour du seigneur. Il l'aurait tuée par jalousie comme il a tué les précédentes. Mais certaines analystes évoquent plutôt l'idée qu'il ne faut pas fouiller dans le passé de son conjoint pour garder son couple intact. Mais la clé du conte ne se trouverait-elle pas justement dans la clé qui ouvre le cabinet mystérieux, la violation de l'interdit, la recherche de la vérité, de la connaissance, source de tous les maux?

La Belle au bois dormant (texte)

Ce conte évoque symboliquement les différentes étapes de la vie d'une femme. La naissance de la Belle et son baptème en présence des sept fées qui sont les acquits de la famille, les choses prévisibles, fortune, éducation, confort. La fée Carabosse est la partie imprévue, la maladie, l'accident. C'est le bagage commun à tous les enfants. La Belle eut une enfance heureuse et insouciante quand arrive l'adolescence et le premier sang. la prévision est inéluctable, aucune jeune fille n'y échappe. C'est le début d'un long parcours silencieux de cent ans, jusqu'à la découverte de l'amour. L'adolescence est bien souvent la rupture avec les parents, rupture qui, même si elle n'est pas effective, se révèle dans la solitude de l'enfant face à l'incompréhension de son entourage. De cet amour et la fin de la solitude naîtront deux enfants, Aurore et Jour qui symbolisent le jour et la nuit. Pour une mère, ces deux enfants sont le monde entier. sa vie. Suivent les difficultés avec la belle famille qui, quand elles sont surmontées, ouvrent la voie d'une vie heureuse.

Le petit Chaperon rouge (texte)

Nous avons là bien sûr le conte moralisateur par excellence. Il nous dit:"Jeunes filles, ne sortez pas seules car vous serez à la merci des prédateurs au doux langage." À cette époque, les jeunes filles ne devaient pas sortir sans leur "chaperon", personnes d'un certain âge et de bonne moralité. Le conte populaire à l'origine était beaucoup plus sanglant et aux connotations sexuelles plus évidentes. Perrault nous en donne une version plus morale si l'on peut dire car le petit chaperon rouge se fait quand même manger, mais cette version est impitoyable pour celles qui se laisseraient malgré tout tenter.
Quant au symbolisme initiatique de ce conte, le loup est le Mal bien sûr mais il est aussi la "Connaissance", le savoir qui va libéré l'enfant. Le chapeau rouge de la fillette rappelle le bonnet de Mithra, ce culte à mystère. Souvenez vous des premières paroles du loup: "Tire la chevillette et la bobinette cherra" anangramme de "Altere, cherche bible et vitriol atlante" V.I.T.R.I.O.L, Visite l'Intérieur de la Terre, Rectifie, Inventorie, l'Oeuvre Léguée. L' enfant dépose ses offrandes, la galette et le pot de beurre et se déshabille.

Les fées (texte)

Outre le problème abordé sur la famille et les enfants préférés qui ne sont pas forcément les meilleurs, Perrault met l'accent sur l'attitude qu'il faut avoir envers les autres et ne pas juger les gens du premier regard selon qu'ils sont beaux ou laids, jeunes ou vieux, bien habillés ou en souillon. La beauté est intérieure et se révèle par les paroles, donc par les pensées. On crache des diamants ou des crapauds...

Peau d'âne (texte)

Peau d'âne est peut-être le conte le plus beau de tous dans sa forme. Les vers sont magnifiques et chacun d'eux a la place qui convient et ne peut être retranché du tout. Le thème en est l'inceste et la souillure qu'il provoque. Peau d'âne fuit le roi son père et, dans la peau puante de l'âne, se cache jusqu'à la rédemption par l'amour qu'elle trouve avec le prince. On retrouve le symbole classique du mariage parfait, l'anneau d'or ajusté au doigt de la jeune fille. L'âne, dans le conte, est un animal magique qui défèque des pièces d'or tous les matins, mais en réalité il représente le pouvoir administratif (l'âne est connu pour sa bêtise obstinée) qui, par les impôts, remplit les caisses du roi. On peut aussi voir dans ce conte plusieurs allusions au Grand Oeuvre, la transmutation alchimique, avec la cuisson de la galette où se trouve l'anneau d'or ou le joyau qu'est la princesse sous sa peau nauséabonde.


***
Lire aussi:
L'interprétation des contes de fées
de Marie Louise von Franz
et
"Psychanalyse des Contes de fées"
de Bruno Bettelheim
Un autre point de vue.